Une interview qui fait rire
Le commissaire du gouvernement, le Lt-Col
Ange Kessy Kouamé, annonce une série de mesures concrètes visant à
lutter contre les pratiques déloyales des Forces de défense et de
sécurité.
Quelles sont les missions du commissaire du gouvernement et celles du parquet militaire que vous incarnez?
Les misions du commissaire du gouvernement sont les mêmes que celles
dévolues au procureur de la République. C’est-à-dire veiller à
l’application de la loi dans le domaine militaire. Les lois au sens
large, c’est-à-dire les règlements, les instructions, les messages du
commandement, les règles de fonctionnement des services. Tout ce qui
concerne les ordres, les instructions, les arrêtés, les décrets. Un
simple message, par exemple, du chef d’état-major ou du commandant
supérieur ou du ministre qui demande à des militaires d’exécuter ou de
faire tel ou tel travail ou telle mission constitue une consigne, un
règlement ou une loi au sens large qui doit être exécutée et dont
l’inobservance entraîne des poursuites. Bien sûr, veiller à
l’application de la loi, sous-entend qu’il y a des conséquences. Ce
sont les poursuites pour toutes les infractions à la loi pénale
commises par les militaires et la garantie de ce fait de leur impunité.
Mais aussi la protection du militaire. Je suis là pour veiller à
l’application de la loi qui, elle-même, protège le militaire en disant
qu’il ne peut pas être poursuivi de la même façon que tout le monde.
Pour poursuivre le militaire, il faut l’accord préalable du ministre de
la Défense en ce qui concerne les militaires et gendarmes et le
ministre de l’Intérieur pour les policiers. Ce qui n’est pas le cas
pour les autres citoyens. Dans la forme procédurale, il y a d’abord un
privilège qu’on accorde à ce militaire. La même loi dit de poursuivre
les militaires qui commettent les infractions contre la loi pénale. Il
y a des militaires qui se tuent entre eux. A l’ouverture des audiences
du tribunal militaire récemment, vous avez vu qu’un militaire qui a
donné la mort de façon involontaire à un de ses collègues, a été jugé
et condamné à trois ans pour homicide involontaire. Mais, ils ne se
font pas que du tort entre eux. Ils font aussi du tort à ceux qui ne
sont pas militaires. Pour donc détruire cette impunité, la loi autorise
des poursuites, pour les infractions commises dans l’exercice de leur
fonction. Comme vous le dites, l’ordre de poursuite vient du ministre.
Or, on vous voit très souvent descendre dans l’arène pour traquer les
agents. Pourquoi n’attendez-vous pas que les suspects vous soient
déférés avant de mettre en œuvre contre eux l’action publique?
Conformément aux dispositions de l’article 49 du code de procédure
militaire, le commissaire du gouvernement a délégation du ministre de
la Défense ou de la Sécurité pour procéder aux enquêtes. Etant donné ma
fonction qui est de protéger l’éthique- qui est l’ensemble des valeurs,
à savoir : la probité, la discipline, l’intégrité, la courtoisie qui
soutiennent l’existence des militaires, s’il y en a un qui contribue à
salir ces honneurs, à détruire ces valeurs-là, eh bien ! Je suis là
pour l’en empêcher. Je suis là pour le ramener à l’ordre en l’invitant
à s’expliquer. Et si le tribunal estime qu’il n’a rien fait, il est
relâché. Donc, notre mission participe des consignes que nous donnons à
nos hommes. Si l’on voulait seulement réprimer sans descendre sur le
terrain, ce serait dix fois le nombre des prévenus qu’on aurait devant
le tribunal. Sur les infractions qui se commettent, les missions de
prévention que nous faisons en éliminent souvent la moitié. Mais, si
dans le cadre de la mission de prévention, nous constatons sur le
terrain, des infractions, nous punissons.
Le commissaire du gouvernement est un officier de la police judiciaire.
Et si en tant que directeur de la police judiciaire, il a sous sa
responsabilité des policiers et des gendarmes qui peuvent poursuivre
pour lui envoyer la procédure et lui conduire les mis en cause, ce
n’est pas lui qui ne peut pas aller faire une enquête. Et puis, les
parquets modernes se transportent sur les lieux. Même s’il n’y a pas
d’infraction, le procureur peut aller sur le terrain vérifier certaines
choses.
Au nombre des infractions qui vous amènent à sortir très souvent,
figure en bonne place le racket. Au sens de la loi, qu’est-ce que le
racket?
Lorsque les faits sont commis, je me transporte sur le terrain et ça
c’est la règle. Le racket est devenu un problème. C’est normalement un
délit comme les coups et blessures volontaires, l’escroquerie, l’abus
de confiance, etc. Il faut distinguer le racket de la corruption. Les
deux n’ont pas le même fondement légal. Ils sont prévus et réprimés par
deux articles différents.
Pour schématiser, je vous présente trois cas. Le premier, un véhicule
arrive à un barrage ou à un corridor. L’agent ne siffle pas, mais
l’automobiliste s’arrête, se dirige vers lui et lui remet de l’argent.
Pour faciliter la compréhension, nous prenons le cas d’un chauffeur de
gbaka. Dans ce cas précis, il n’y a pas d’infraction. Dans le deuxième
cas, l’agent siffle, le chauffeur s’arrête, se dirige vers l’agent et
lui remet les pièces qui, malheureusement, ne sont pas au complet. Le
chauffeur remet de l’argent et on lui remet ses pièces et il repart
sans être contrôlé. Vous constatez que là, l’agent n’a pas fait son
travail. Il a reçu de l’argent en contrepartie du travail qu’il devrait
faire. C’est comme vous journaliste, vous avez à faire un article et
quelqu’un estime que l’article en question ne fait pas son affaire et
vous demande de ne pas le faire en vous donnant en contrepartie de
l’argent. Et alors vous ne faites pas l’article ou vous en faites un
qui se détache complètement de la réalité des faits. Ça, c’est la
corruption. Dans le 3ème cas, l’agent siffle et l’automobiliste
s’arrête. Je précise que cette fois-ci, le chauffeur est en règle, il a
toutes ses pièces. Comme le prescrivent les dispositions en la matière,
il attend que l’agent vienne vers lui. Je précise ici que c’est l’agent
qui va vers l’automobiliste et les passagers pour procéder au contrôle.
Mon rôle, c’est de faire respecter les consignes aux barrages et non de
les soustraire. J’ai pour mission de faire appliquer et respecter les
lois aux barrages. Si par des consignes écrites, les agents me
démontrent qu’ils sont autorisés à prendre de l’argent aux
automobilistes, je n’ai pas de problème avec eux. Mais si les consignes
ne disent pas de prendre de l’argent et qu’ils le font, je réagis. Ma
préoccupation, c’est de faire respecter les consignes. Ne me demandez
pas d’enlever les barrages, ce n’est pas mon rôle. Je veille à ce que
les notions d’honneur, de dignité, de probité, d’intégrité de
discipline s’effectuent pleinement par les agents dans l’exercice de
leurs fonctions aux barrages. Donc, pour revenir au problème du racket,
si dans le cas cité, l’agent prend les pièces au complet et, plutôt que
de les restituer après vérification, se promène avec, les garde
indûment, pour amener le chauffeur à le suivre pour lui donner de
l’argent, c’est un cas avéré de racket. C’est aussi le cas où l’agent
quémande directement de l’argent aux automobilistes. Il y a des cas de
racket passif où l’agent ne demande pas d’argent. Mais par son
comportement, il oblige l’usager à lui donner de l’argent. Comment
qualifiez-vous le cas de l’agent qui, sans contrainte aucune, vous
arrête et vous demande de l’argent sous prétexte qu’il a soif et qu’il
veut boire de l’eau?
Le racket implique nécessairement l’idée de contrainte. On peut parler
de racket si l’agent vous contraint à attendre alors que vous êtes en
règle. Mais, s’il vous fait perdre du temps et ne vous prend rien, il
n’y a pas de racket. Il faut aussi dire qu’il y a des vols qu’on
assimile au racket. C’est par exemple quand l’agent garde par-devers
lui vos pièces alors que vous êtes en règle. Le cas où des policiers,
en véhicule de patrouille, poursuivent les gbaka, arrachent les pièces
aux chauffeurs et s’en vont avec sans leur laisser de récépissé, ce
n’est pas du racket, c’est du vol. Je dois dire un braquage. Il faut
forcément donner un papillon à quelqu’un à qui vous retirez
régulièrement les pièces. Quelles recommandations faites-vous à
l’automobiliste victime d’une situation pareille?
Avant de remettre les pièces à un agent, exigez qu’il vous remette un
papillon. C’est un échange. Vous lui donnez les pièces et lui, il vous
remet un papillon, c’est obligatoire. Et si l’agent refuse de vous
remettre un papillon?
Dans ce cas, vous ne lui remettez pas vos pièces. Et s’il refuse de
vous restituer vos pièces, vous le suivez partout où il va. Et s’il
s’agit d’agents en patrouille, suivez-les. Ecoutez ! Il faut avoir une
dose de courage pour aller jusqu’au bout. Moi-même, je sais qu’à tout
moment, à cause de mon engagement, je peux être abattu. Mais, je fais
mon travail. Je suis toujours dans les menaces, mais j’avance. Il faut
faire preuve de courage et d’audace pour lutter contre le racket et il
faut que tout le monde s’y mette. Voyez-vous, on ne prend pas les
pièces de quelqu’un parce qu’il vous fait un mauvais dépassement. Je
voudrais ici rendre hommage aux autorités. Les ministres qui, à chaque
fois, m’ordonnent de poursuivre les militaires qui portent atteinte à
l’honneur et à la dignité de la corporation. C’est un exercice très
dangereux auquel se livrent certains agents qui, dans la rue, à tout
bout de champ, dépossèdent des gens de leurs pièces et disparaissent
dans la nature. Ceux d’entre eux qui seront traduits ici, seront
poursuivis pour vol et encourent des peines allant jusqu’à 20 ans
d’emprisonnement, et la radiation du corps.
Je vous apprends que nous avons reçu un dossier d’Aboisso où des
éléments du CeCOS sont allés enlever quelqu’un, on ne sait pas sur les
ordres de qui. Et c’est le juge d’Aboisso qui nous a envoyé le dossier.
Je dis que ces gens-là, nous n’allons pas leur faire de cadeau pour que
cela serve d’exemple. Je voudrais profiter ici de l’occasion pour
rendre hommage au général Guiai Bi Poin Georges. C’est vrai que tout le
monde lutte contre le racket, mais le général Guiai Bi Poin, qui, au
niveau militaire, est mon chef, contribue à améliorer le travail du
commissaire du gouvernement. Il ne joue pas avec l’honneur et la
dignité de ses éléments. Tout défenseur de la loi militaire que vous
êtes, vous n’en demeurez pas moins un officier supérieur de l’armée
ivoirienne. Alors dites-nous concrètement ce qui se passe au niveau de
la hiérarchie. Parce que les pauvres agents accusés continuellement de
racket, ont bien des responsables qui supervisent leurs activités.
Votre combat est-il finalement celui de tous les officiers des FDS?
Je vais vous dire que les réactions du général Guiai Bi Poin sont
imposées par les agissements. Mais, le général Guiai Bi Poin a un chef.
C’est le chef d’état-major des armées. C’est ce dernier qui, au plan
national, est le responsable de la défense et de la sécurité. Mais, ce
monsieur-là, le général Philippe Mangou, c’est parce que vous ne le
connaissez pas bien. Il est plus engagé contre le racket, la
dégradation de la moralité que le général Guiai Bi Poin. Lui, il ne
parle pas comme je le fais, parce que dans l’armée, chacun fait son
travail. Dans le mot commissaire du gouvernement, il y a le mot commis,
c’est-à-dire qu’on l’a commis, on l’a mandaté pour une tâche bien
précise. On me voit, parce que cela fait partie de mon travail. Le rôle
du commissaire du gouvernement, je le répète, c’est de veiller à
l’éthique en poursuivant pour toutes les infractions dont les
conséquences ternissent l’image de toute la corporation. Pour revenir à
votre question, je vous dis que quand un comptable détourne les fonds
mis à sa disposition, ce n’est pas le directeur de la société qui lui
donne les consignes de détourner. On lui donne l’argent pour le service
et il en fait une autre utilisation. C’est cela le détournement.
S’agissant du cas des agents indélicats, il faut dire pour imager,
qu’ils détournent les consignes qui leur sont données par la
hiérarchie. Et c’est ce qu’on appelle dans l’armée, la violation de
consignes. C’est pourquoi, quand on poursuit un racketteur, on cumule
cette infraction avec celle de la violation de consignes. A ce propos
et pour paraphraser le général Guiai Bi Poin, le CeCOS n’a pas pour
mission de contrôler les pièces des véhicules. Sauf si, bien sûr, il y
a des informations précises ou des consignes précises sur le véhicule
ou le gbaka en question. Croyez-vous que les agents aligneraient les
gbaka au premier pont de l’autoroute du Nord, s’il y avait à bord de
grands bandits ? Des grands bandits dans des gbaka qu’ils alignent de
cette manière, il y a longtemps que les bandits les auraient
exterminés? Croyez-vous que c’est comme cela qu’on leur a appris à
chercher les bandits, en alignant les gbaka? Parce que pour un véhicule
qu’on suspecte de transporter des bandits, on se met en position de
combat. Aucun chef n’envoie ses éléments sur le terrain avec comme
consignes d’aller racketter. Les agents disent être les moutons du
sacrifice dans la lutte que vous engagez contre les abus. Parce qu’à
l’école, ils reçoivent une formation et des consignes classiques pour
les missions de terrain. Et puis, ils reçoivent aussi des consignes de
leurs chefs respectifs. Voilà que vous parlez des consignes du CEMA.
N’est-ce pas simplement de l’acharnement sur les agents d’exécution?
C’est une question très importante en ce qu’elle pose la question de la
responsabilité de l’agent et de son chef. Et cela pose le problème d’un
projet sur lequel nous travaillons actuellement, à savoir, l’ordre
manifestement illégal. La question est de savoir si l’ordre que vous
êtes en train d’exécuter est légal. On vous dit d’aller vous
positionner à un barrage en respect des consignes que vous avez reçues.
Que ce soit un commissaire de police ou un chef d’arrondissement ou de
district ou un commandant de brigade qui place ses éléments sur la
route, il doit donner des consignes qui résultent des directives. Il
n’y a aucune consigne qui est donnée à un barrage ou un corridor qui
déroge de ses directives qui, pour moi, constituent la loi
fondamentale. Si j’arrive à un barrage que je vous prends en train de
racketter, vous ne pouvez pas me convaincre que cela découle des
consignes reçues de vos chefs, parce que le racket n’est pas autorisé
par les directives de l’Etat-major et tout agent des FDS le sait très
bien. Aucun chef ne demandera à ses agents de faire le contraire de ce
qui ressort des directives générales. J’entends souvent dire: «Ce n’est
pas Ange Kessi qui nous a placés ici». Qu’ils me le répètent le jour où
je les trouverai sur la route en train de racketter. Moi, je suis là
pour faire respecter la loi incarnée par les directives. Toute autre
consigne donnée par un chef qui n’est pas conforme aux consignes
générales, est illégale. Et l’agent auteur de la consigne illégale sera
poursuivi. Et puis s’il est établi que c’est le chef qui a donné une
consigne illégale à ses agents, alors ce dernier sera lui aussi
poursuivi en plus des agents qui auront exécuté l’ordre illégal. Nous
allons bientôt passer dans les unités pour expliquer ce qu’est l’ordre
manifestement illégal. Et puis il faut noter que l’agent d’exécution
est susceptible de détourner l’ordre qui lui a été donné. Il y a eu le
procès d’un sapeur-pompier qu’on a jugé ici pour homicide. On a fait
comparaître son chef qui l’avait envoyé en mission au cours de laquelle
il a tué quelqu’un. Quand le chef, qui n’est autre que l’actuel
commandant des sapeurs-pompiers, est arrivé à la barre, il a clairement
expliqué l’ordre qu’il avait donné. En fait, il avait simplement
demandé que les tenanciers des bars aux alentours du camp diminuent
l’intensité de la musique parce que nous étions en pleine crise
militaire. Le capitaine qui a reçu les consignes les a légèrement
déformées en demandant aux soldats d’aller faire arrêter la musique
dans les bars. Le soldat, lui, est allé tuer un barman pour non
seulement arrêter la musique, mais pour le faire taire à jamais.
Voyez-vous, d’étape à étape, l’ordre change. J’invite donc les agents à
faire attention aux instructions que leur donnent leurs chefs.
Voulez-vous insinuer qu’il n’y a rien à reprocher aux chefs des agents racketteurs?
Non! Ce n’est pas ce que je dis. Parce qu’il est vrai que je n’ai
jamais vu un commissaire de police ou un chef de brigade de
gendarmerie, comme le fait souvent le général Guiai Bi Poin, aller voir
ses hommes sur le terrain, ne serait-ce que pour une dizaine de minutes
et voir quelles sont leurs difficultés du terrain. Parce que, comme
vous l’avez dit tout à l’heure, s’il arrive que les éléments demandent
de l’eau aux automobilistes, ce n’est pas toujours dans le but de
racketter. Même si cette façon de faire n’est pas normale, c’est
peut-être parce qu’ils ont vraiment soif. Alors, qu’est-ce que cela
coûte aux responsables d’aller voir leurs agents sur la route, échanger
avec eux et leur apporter de l’eau?! Je vais vous dire qu’on devient
militaire et on intègre l’armée pas pour un besoin d’argent. Mais,
c’est le choix d’une façon de vivre. Une façon de faire, une façon
d’être qui diffère de celle des autres. C’est vrai que nous sommes
membres de la société à part entière, mais nous sommes astreints à des
conditions plus rigoureuses d’existence. Pour revenir à votre question,
je dis que c’est parce que les chefs ne vont pas sur le terrain pour
conseiller leurs éléments que les gens pensent qu’ils sont complices
des actes de ces derniers. Mais, sachez que moi, je suis magistrat et
je m’en tiens au fait que la responsabilité pénale est individuelle.
C’est celui qu’on a vu racketter qu’on poursuit. Quand quelqu’un tue,
on ne va pas jusqu’à chercher la responsabilité de celui qui a fabriqué
l’arme, ni celui qui l’a vendue. Tant qu’on n’a pas établi formellement
la responsabilité d’un chef dans un acte posé par son élément, on ne
peut pas le poursuivre. Si les chefs s’impliquaient trop dans les
missions de leurs agents, on ne verrait pas ces derniers très souvent
entourés de badauds ou de chauffeurs en train de discuter avec eux.
C’est une image dégradante pour la corporation. Partout où le militaire
est en service en dehors de son bureau, il doit être en position de
combat. Et puis, si les agents estiment que dans ce qui leur est
reproché leur chef a une part de responsabilité, c’est à eux de le dire
au moment où ils sont entendus par nos services. Il nous revient que
certains chefs de service, en désignant les agents pour le contrôle
routier, leur donnent des consignes codées quand ils leur demandent de
rendre compte à la descente. Comment doit-on interpréter ce genre de
comportement?
Je vous ai déjà dit que je suis un magistrat et non un
prestidigitateur. Je statue sur ce que je vois et entends. Si un
racketteur en train d’être jugé me dit ce que vous avancez là, il verra
bien ce que je vais faire. Je vais faire renvoyer cette affaire pour
aller prendre tous les membres de la chaîne. Maintenant, s’ils veulent
aller seuls en prison et perdre leur emploi, ils n’ont qu’à se taire.
Aujourd’hui, la radiation n’est plus laissée à l’appréciation du
ministre. Dès que vous êtes reconnu coupable, le tribunal prononce
systématiquement votre radiation. Ceci dit, j’ai aussi appris ce que
vous affirmez. Mais, pour moi, ce sont des rumeurs et je n’agis pas sur
la base des rumeurs. «Allez-y et rendez-moi compte» peut aussi vouloir
signifier beaucoup de choses. Il peut simplement demander d’aller bien
travailler et de lui rendre compte. Cela ne veut pas dire qu’il attend
de l’argent en retour. Mais, ce sont seulement les agents eux-mêmes qui
peuvent nous permettre d’en savoir davantage sur ce que vous appelez
«message codé des chefs».
Quel objectif voulez-vous atteindre par les patrouilles anti-racket que
vous venez de lancer et qui apparemment sont faites pour être
inefficaces? Quel racketteur pouvez-vous surprendre lorsque vous vous
déplacez à bord d’un véhicule militaire identifiable?
Vous avez vous-même assisté, récemment, au procès des agents pris pour
racket. A la barre, ceux-ci ont dit comment je les ai surpris au
corridor de Bouaflé. Ils avaient été informés de mon arrivée, mais
c’est à bord d’un minicar de transport public qu’ils ont sifflé que je
me trouvais. Ils ont cru que c’est un chauffeur de gbaka qui venait
vers eux. Même si tous les Ivoiriens devaient être corrompus, la
communauté des militaires, elle, devrait être épargnée.
Interview réalisée par Landry Kohon